Entre l’abattage du drone et les accusations de soutien au terrorisme… Quel contexte régional explique cette escalade diplomatique ?
Dans un développement aussi grave qu’inédit dans ses relations avec trois pays clés du Sahel, l’Algérie a rappelé lundi ses ambassadeurs au Mali et au Niger pour consultations, et a suspendu la prise de fonction de son nouvel ambassadeur au Burkina Faso. Cette décision survient après une déclaration conjointe de ces trois pays accusant l’Algérie de soutenir ce qu’ils ont qualifié de « terrorisme international ».
Cette déclaration, publiée dimanche, a été suivie d’un communiqué officiel du ministère malien des Affaires étrangères dénonçant ce qu’il a qualifié d’« acte hostile direct » : l’abattage d’un drone de reconnaissance malien près de la frontière algérienne. S’agit-il d’un simple incident technique ou d’un point de rupture définitif entre Alger et ses partenaires traditionnels dans la région ?
Conflit de drones et langage diplomatique : une logique d’accusations croisées
Le ministère algérien des Affaires étrangères n’a pas tardé à réagir, qualifiant ces accusations de « vaines et absurdes », et les attribuant à une tentative de masquer « l’échec cuisant de la junte putschiste » au pouvoir à Bamako. Ce ton virulent marque un tournant dans la rhétorique algérienne, traditionnellement axée sur le dialogue et les solutions de compromis. Désormais, Alger accuse les autorités maliennes de « dilapider les ressources au lieu de développer le pays ».
Un renversement des rôles ? L’Algérie, longtemps médiatrice et garante des accords de paix au Nord-Mali, se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés, soupçonnée de nourrir le chaos qu’elle s’efforçait jadis de contenir.
Incident du drone : erreur technique ou acte calculé ?
Le cœur de la crise tourne autour de l’abattage d’un drone militaire malien. Alger affirme qu’il a violé son espace aérien sur 1,6 km, tandis que Bamako soutient que l’appareil n’a jamais quitté le territoire malien, s’étant écrasé à 9,5 km de la frontière.
La question cruciale est la suivante : si le drone se trouvait bien en territoire malien, qui l’a abattu ? Et si la version algérienne est correcte, pourquoi Alger n’a-t-elle pas fourni de preuves techniques après 72 heures ? Ce silence serait-il un « aveu implicite » comme l’affirme Bamako, ou s’agit-il de considérations sécuritaires qui ne peuvent être révélées publiquement ?
Au-delà de la crise : l’Algérie a-t-elle échoué à gagner la confiance des régimes militaires ?
Depuis l’accession des juntes au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso, l’Algérie a tenté de maintenir le dialogue et d’offrir sa médiation pour éviter l’escalade. Mais elle a refusé de cautionner le renversement de l’ordre constitutionnel, défendant l’accord d’Alger signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés du nord.
Aujourd’hui, ces régimes militaires perçoivent Alger non plus comme un médiateur, mais comme un acteur biaisé, voire menaçant. L’Algérie paie-t-elle le prix de son attachement aux normes internationales ? Ou bien les nouvelles orientations géopolitiques du Sahel – ouverture à la Russie, rupture avec la France – font-elles d’elle une cible de choix ?
Soutien au terrorisme : franchissement d’une ligne rouge ?
L’accusation la plus grave reste celle de « parrainage du terrorisme international ». Une ligne rouge diplomatique, qui touche directement au cœur de la doctrine sécuritaire algérienne forgée durant la décennie noire des années 1990.
Cela soulève une question centrale : cherche-t-on à isoler l’Algérie dans la région ? Va-t-on vers une alliance renforcée Mali-Niger-Burkina autour d’acteurs comme la Russie, au détriment d’Alger ? Ou s’agit-il simplement d’un levier tactique pour forcer la main à l’Algérie ?
Vers l’éclatement de l’architecture sécuritaire au Sahel ?
Ce contexte annonce une ère nouvelle d’instabilité diplomatique, bien au-delà de simples litiges frontaliers. La lutte contre le terrorisme, la reconfiguration des forces régionales et les alliances stratégiques sont désormais en jeu.
La question finale : l’Algérie dispose-t-elle des outils politiques et opérationnels pour désamorcer cette crise, ou l’incident du drone marquera-t-il la fin d’une époque de coopération avec les États sahéliens militaires ?
Et surtout, l’Accord d’Alger survivra-t-il à cette tempête diplomatique ?